Abordons maintenant le 3ème chapitre

La responsabilisation du patient psychiatrique, un processus impliquant.
De l'importance du lien

Que les patients aient commis un délit ou non, les accompagner vers un plus grand développement du sens des responsabilités est une démarche qui, de notre point de vue, implique autant le patient que le professionnel.Nous pensons pour certains patients qui ont peu le sens des responsabilités et sont enclin à projeter massivement la faute sur leur environnement, l'approche socio-éducative est une piste que nous voulons suivre pour permettre au patient psychique de se retrouver avec lui-même.
Car, en effet, si l'on a peu d'estime de soi, où trouver la force d'assumer ses erreurs, ses fautes ? On va donc projeter à l'extérieur de soi la responsabilité. Et comment se sentir responsable quelque chose qui ne nous concerne pas ? Par conséquent, le patient ne va s'investir à changer son comportement s'il ne se sent pas responsable des dommages causés. C'est le chat qui se mord la queue.
Donc, dans un premier temps, il s'agit d'accompagner le patient à retrouver une bonne image de lui même, par exemple à renouer avec ses rêves d'enfants.
Pour y parvenir, lors de cette première étape, l'établissement d'un lien, un lien fort, empreint de complicité avec le patient est d'une importance capitale. Un lien horizontal où on partage le plaisir de faire connaissance dans la rencontre de deux êtres humains, avec leur passé, leur présent et leur aptitude à se projeter dans l'avenir.

De cette rencontre, au-delà de leur expérience ou non de la maladie psychique, voir de la délinquance, à travers ce lien, c'est l'apprentissage, ou le réapprentissage de la confiance qui va s'opérer.
L'expérience de l'équivalence va permettre au patient et au professionnel de sortir de leur fonction de soignant/soigné, ou aidant/aidé pour entrer dans une relation d'acteurs centrés sur un projet commun. Dans cette phase, on va s'intéresser à ce que chacun a su faire, aime faire, rêverait d'accomplir. On va inventorier les ressources. À voir ce qui va, ce qui marche, ce qui peut réussir, la confiance en soi, en l'autre, va prendre corps, se renforcer. Le lien se consolidera et la complicité sera bien là avec tout ce que cela comporte d'estime et de respect réciproque.
C'est seulement lorsque nous parvenons à cette qualité de relation que le vrai travail de responsabilisation peut commencer. Lorsque l'on ose regarder tout ce dont on est capable, ce que l'on sait faire, il devient possible de voir aussi nos défauts, nos lacunes, nos erreurs. Si la maison est belle, on peut bien admettre que les volets sont à repeindre, que la porte d'entrée est cassée. C'est à partir du moment où l'on se sent des compétences, des ressources, que l'on peut commencer à agir et modifier son comportement.
L'estime personnelle du patient étant rétablie, il pourra agir en cohérence avec ce qu'il pense. Il sera à même de répondre de ses actes, des bonnes choses, comme des moins bonnes. S'il a commis du tort à autrui, il pourra enfin, et enfin seulement, imaginer comment réparer. La sanction venant avant cette étape-là, est une mesure qui ne va que renforcer le sentiment de victime et d'injustice du patient. Alors, qu'introduite au bon moment, la sanction va participer à la construction la reconstruction de son sens moral et gagner en autonomie morale : j'ai cassé, j'ai réparé, maintenant je suis libre, et rétablir le lien avec les autres en présentant des excuses.

Rétablir l'estime de soi chez le patient nous apparaît être la clé du mécanisme de changement que nous souhaitons voir s'opérer chez le patient. Sans envie de changer, pas de changement réel et profond.
Et, pourquoi changer ? Ce qui importe dans un premier temps ce n'est pas de dire pour quoi changer ? Mais pour qui changer ! Donc, l'implication, l'engagement du professionnel est fondamental.

De passif, de victime, le patient va être entraîné dans une dynamique constructive, où dans le regard, dans les paroles du professionnel, il va trouver le plaisir de se découvrir ou se redécouvrir des compétences. Cette dynamique va aboutir, naturellement à l'envie de réaliser ensemble un projet qui va permettre au patient de regagner son autonomie.
L'envie de réaliser un projet. L'envie, c'est fondamental pour l'émergence d'un projet. On s'engage non pas parce que l'on doit, mais parce que l'on a envie...
Comme on peut le voir dans cette démarche, il est plus question de compréhension et de chaleur humaine, de complicité que d'analyse de problématique qui pourrait être cause de souffrance ou /et de comportements socialement réprouvés. Cette relation se tisse avec des ingrédients comme le partage d'un savoir, d'un savoir faire, d'un savoir être.

Une fois ces deux acteurs, le professionnel et le patient, bien en phase, ils vont pouvoir définir un projet commun. Qu'allons-nous faire dans cet espace temps qui nous est donné et pour aller où ? Qu'est-ce que nous visons ensemble ? Si nous visons le rétablissement bien sûr, concrètement quelle sera sa forme, dans quelle réalisation va s'incarner ce rétablissement ?
On veillera à ce que ce projet réponde au besoin d'être utile, qu'il soit beau, que l'on puisse en être fier.

On va ensuite définir les tâches et les responsabilités de chacun. Qui va faire quoi. Si le projet est d'envergure, on s'attachera à se fixer de petits objectifs réalistes et réalisables. Ces tâches sont donc mûrement réfléchies, elles visent un objectif qui a du sens pour les deux partenaires. C'est leur propre projet, ils vont s'y engager avec enthousiasme. Et, sans aucun doute, ils vont pouvoir répondre de leurs actes.
Et ce, d'autant plus que l'on partira du principe que c'est de nos erreurs que l'on apprend le plus. Le concept de sanction disparaîtra au profit du principe de l'amélioration continue.

Lorsque le patient-acteur est à même de faire un choix, un choix personnel et sincère, pour une action, pour un projet, alors on peut parler de responsabilité. La première étape de la responsabilisation est acquise. Il peut maintenant élargir son cercle, impliquer d'autres partenaires, décider de suivre une thérapie, s'il est délinquant, examiner son délit et envisager la réparation.

Donc, si je me résume, c'est par une démarche socio-pédagogique à partir de la création d'un lien fort et significatif que l'on peut amorcer le processus de responsabilisation.

Comme je le dis plus haut, à cette étape, le patient-acteur peut élargir son cercle et choisir des partenaires supplémentaires. Il peut s'attacher à socialiser sa problématique, ce n'est plus que son problème d'autres sont aussi concernés.

Par socialisation, j'entends élever sa propre problématique au niveau d'un groupe social, voir en quoi ce problème a aussi un impact sur les autres.
Pour reprendre l'exemple d'Angeline, non seulement d'autres personnes souffrent comme elle, et sont habitées par des sentiments de honte et de culpabilité, mais ses troubles ont un impact sur son employeur qui doit trouver des solutions pour la remplacer pendant sa maladie, sur l'Office AI qui doit envisager de lui fournir une rente, sur son enfant qui ne comprend pas bien ce qui arrive à sa maman... Et bien sûr, la maladie d'Angeline a un impact sur le médecin, sur l'équipe soignante qui auront l'occasion d'activer et développer leurs compétences professionnelles et relationnelles au travers leur approche de la maladie. C'est bien là le rôle de l'assistante sociale que d'établir les liens entre ces différents partenaires afin que chacun puisse contribuer, avec ses compétences propres à faire avancer le projet de telle manière que chacun y trouve son compte.
Socialiser un problème d'Angeline c'est parvenir à dire, cette maladie, cette souffrance, c'est l'une de nos préoccupations, nous sommes concernés et ensemble on va pouvoir mettre nos ressources, notre créativité pour en atténuer les effets, afin qu'elle puisse rejoindre au plus vite la communauté. L'objectif commun étant le rétablissement et la réinsertion sociale et professionnelle d'Angeline.

Nous sommes donc assez loin de l'approche centrée sur le patient, où l'infirmière convoque le patient, les proches, le tuteur, l'assistant social, le maître socio-professionnel, l'éducateur du foyer... nous sommes assez loin du fonctionnement où c'est systématiquement le médecin qui dirige la séance, où chacun fait état de l'évolution de la situation depuis la dernière rencontre. Ces réseaux où une dizaine de personnes qui se penchent sur le patient et discutent de son cas. Le patient, au centre de l'attention de tout ce public assistant plus ou moins passivement au débat, et se disant par de lui-même, «cause toujours» ou, effrondré devant autant d'attentes à satisfaire, ou au contraire, tenant le devant de la scène, manipulant son auditoire.

Jusqu'à présent, le malade est - implicitement ou pas - placé au cœur du système de soin, on le met au centre de l'attention. Ce focus porté sur le patient crée, de fait, une asymétrie de type assistants/assistés. Il y a ceux qui donnent et ceux qui reçoivent l'aide, le soin, le soutien.
En quoi, ce qu'apporte le patient aux autres membres du réseau peut-il être pris en compte ? En quoi le malade peut-il être fier de ce qu'il apporte à son entourage si le regard porte uniquement sur la maladie et ses conséquences sur sa vie ? En quoi peut-il, tout comme le médecin, les proches, l'assistant social, le tuteur, se sentir utile aux autres et jouer son rôle de citoyen responsable ?

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Présentation de la méthode centrée sur le projet

Dans le cadre du congrès du Graap de l'an passé, avec la Coraasp, Coordination romande des associations d'Actions pour la santé psychique, nous avons élaboré un modèle d'intervention centrée sur le projet commun, favorisant le rétablissement par l'inclusion du patient psychique dans son environnement de façon responsable.
Voir schéma.

Nous avons posé au centre le projet de rétablissement. Projet qui a été initié sur la base d'une proposition provenant du patient. Les personnes en position équivalentes, concernées par ce projet, se mobilisées et vont intervenir au gré de l'évolution du projet.
Ainsi, c'est ce projet de rétablissement qui est au centre. Les patients sont positionnés sur le cercle, comme les proches du reste, et agissent de concert avec tous les autres intervenants.
Leurs compétences sont reconnues équivalentes et non pas égales, je le répète, équivalentes aux savoirs des autres intervenants qu'ils soient directement issus des métiers de la santé : psychiatres, médecins de famille, infirmiers, de ceux à vocation sociale ou spirituelle, ou de la formation : assistants sociaux, aumôniers, pasteurs, prêtres, enseignants), ou encore de ceux liés à l'application de la justice : juges, avocats, policiers, agents de détention.
Dans un esprit de partenariat réel - les uns n'ont pas plus de pouvoir que les autres - et de solidarité, les membres de ce réseau formeront une alliance autour d'un projet initié par le patient. Ce projet devient un projet commun car chacun, au gré de sa spécialisation va l'améliorer. En effet, chacun est sollicité à l'enrichir afin que tous y trouvent leur compte et puissent s'y engager sincèrement.

Dans cette approche centrée sur le projet, le patient, au même titre que les autres, va s'engager et faire des propositions au fur et à mesure de l'avancement de la réalisation du projet. Ces propositions seront discutées, les apports des autres partenaires vont améliorer sa proposition et enrichir le projet, à la plus grande satisfaction de tous.

Ce type de fonctionnement où toutes les personnes concernées par un projet, professionnels et travailleurs AI, se rencontrent en cercle, où l'équivalence est reconnue comme principe de base, est en train de s'implanter au Graap. D'autres règles régissent ce type de fonctionnement. C'est le mode sociocratique de gouvernance. Et nous étudions maintenant, dans le cadre de nos réflexions avec les proches et les patients pour structurer cette approche centrée sur le projet. Par exemple, en plus du chef de service ou d'atelier, nous élisons un animateur et un secrétaire pour nos séances.

Juste une anecdote pour terminer : lors de l'une de nos rencontres de travail, l'un de nos membres, proche, nous a demandé si l'on savait pourquoi, dans les rencontres de travail on prend toujours des notes alors que dans les rencontres de réseaux, jamais personne ne prend des notes, il n'y a pas de PV. Est-ce parce que ce que l'on dit n'est pas si important que cela ?

J'ai trouvé que c'était une bonne question. Merci de votre attention.

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