De l'assistanciel au partenariat
Disons qu'elle s'appelle Angeline, elle me disait l'autre jour,
la responsabilisation du patient, mais c'est une révolution à 180º et une révolution qui n'est pas vieille, pour moi ça a commencé dans les années 2000.
Le patient victime d'une maladie psychiatrique
À cette époque, lorsque j'étais hospitalisée, d'emblée, quelque soit la gravité de mon état, c'était la chambre d'isolement. C'est comme ça qu'on l'appelait. Que j'aille à l'hôpital de mon propre gré ou que ce soit une hospitalisation forcée.
Je percevais cela comme un sas d'entrée, de décontamination. Une fois toute propre à l'intérieur, calmée, ils allaient pouvoir intervenir. C'était à chaque fois pour moi une terrible épreuve. Quand allais-je pouvoir sortir ? J'angoissais encore plus.
Les soignants, médecins, infirmiers, veilleurs, personnel d'étage, toutes ces personnes ne sont pas différentes maintenant comme il y a 10 ans en arrière. Certaines étaient très gentilles avec moi, il y avait même une réelle complicité ; avec d'autres, au niveau relationnel, il ne se passait pas grand chose. Comme maintenant.
Mais, dans leur regard, moi j'étais la malade qu'ils devaient soigner. Quelque soit la qualité de la relation, les soignants, infirmiers et médecins, étaient persuadés qu'ils devaient penser, réfléchir, analyser et agir à ma place. Ils considéraient que la maladie m'avait aliénée. Moi j'étais en crise, folle, donc totalement incapable de penser et encore moins d'agir correctement et eux, ils étaient sains, ils savaient ce qui était bon pour moi, ils étaient le Savoir.
Ils organisaient des colloques de synthèse et m'invitaient à la fin de la séance pour m'informer de leur décision.
Ces attentes étaient aussi particulièrement anxiogènes : qu'allaient-ils décider ?
En fait, ils avaient élaboré un plan de traitement, le dosage des médicaments, les jours où j'aurais des entretiens infirmiers, des entretiens médicaux, les conditions d'ouverture ou fermeture du cadre-étage, etc.
On ne me donnait aucune explication. On ne me demandait rien, si ce n'est, très gentiment, avec douceur, comme si j'étais tellement fragile que leurs mots allaient me briser : «est-ce clair pour vous ? vous avez tout compris ?».Ils avaient le pouvoir
- de m'assujettir, de me donner des ordres : «vous aurez une injection à 10h» ;
- de me juger : «des effets secondaires ? c'est dans votre tête, ces idées» ;
- de ne pas me donner d'information : «votre diagnostic, c'est trop compliqué, mais ça ira mieux, très bientôt» ;
- de faire des pronostics : «assistante médicale ? mais vous n'y pensez pas, avec votre maladie» et mon médecin de s'empresser d'écrire en signalant la gravité de mes troubles à la directrice de l'école où je m'étais inscrite.
Et, s'ils avaient du pouvoir sur moi, MOI j'avais le pouvoir de résister. Toute mon énergie, je la mettais à me défendre de cette intrusion dans ma sphère personnelle. Et j'étais très inventive : je me scarifiais, je stockais mes médics et les avalais tous d'un coup, je pouvais passer 3 jours sans ouvrir la bouche, et aussi je fuguais. Il m'arrivait de dire «oui» ... mais au fond, je pensais «non».
Ils voulaient me soigner. Même malgré moi. Ils avaient le pouvoir de m'enfermer. J'avais le contre-pouvoir de leur échapper.C'est vrai que j'étais malade et capable de faire des bêtises, de graves bêtises, comme de me suicider.
Mais ce que je ne savais pas et qui m'apparaît maintenant comme une évidence : si je suis capable de faire des bêtises, je suis aussi capable de faire de belles choses, non ? Ce n'est qu'une question d'utilisation, bonne ou mauvaise, de son intelligence.
Le pouvoir du patient
Comme le dit Angeline, nous avons vécu, nous vivons une révolution dans le concept même de prise en charge médicale. Au fait, parle-t-on encore de prise en charge ? Il me semble entendre davantage parler de suivi thérapeutique.
Il y a 25 ans, au début du Graap, nous avions besoin de faire descendre Monsieur le Docteur de son piédestal, et pas seulement le médecin, mais tous les soignants, et les proches, et les tuteurs, et les assistants sociaux, et tous ceux qui voulaient nous sauver et exercer sur nous, leur pouvoir.
Nous déclarions alors, dans notre magazine, appelé maintenant Diagonales, et que nous avions baptisé à l'origine TOUT COMME VOUS : tout comme vous nous sommes un peu sain, tout comme vous nous sommes un peu fou, ce n'est qu'une question de quantité de santé.
Ce n'est pas parce que l'on est malade, que l'on est fou à plein temps, que l'on est un sous-homme et que cela donne le droit de décider des soins et de notre projet de vie à notre place. La maladie ne donne à personne le droit de penser à la place du malade de ce qui est bon pour lui.
En fait, nous voulions juste dire que nous nous sentions des humains semblables aux autres humains, que nous avons besoin de manger, de dormir, de rêver... que nous étions des citoyens à part entière. Et à ce titre, nous avions aussi des handicaps, des vulnérabilités, des défauts, tout comme les psychiatres, tout comme le commun des mortels.
En fait, nous voulions remettre l'église au milieu du village et ne pas laisser tout le pouvoir au médecin.
Convaincu que le pouvoir, c'est comme l'amour, plus on en donne plus on en reçoit, nous allions être tous gagnants, si le pouvoir du patient est réhabilité.
Nous nous fondions pour revendiquer cette part du pouvoir, sur le principe d'équivalence. L'équivalence dans le sens où nous avons tous la même valeur et que rien ne justifie le fait de ne pas prendre en compte le patient comme un citoyen à part entière.
L'équivalence ne veut pas dire être égal. Nous savions pertinemment que les psychiatres ont des connaissances que nous n'avons pas, et nous savions qu'il nous arrivait plus souvent qu'à notre tour d'avoir besoin de leurs compétences. Mais, nous voulions que nos savoirs, entre autres le savoir de l'expérience de la folie, soit lui aussi reconnu.
Nous n'étions pas dans la logique polarisante de l'anti-psychiatrie ; force était de constater que nous souffrions, que nous ne parvenions pas à assurer notre minimum vital et que cela avait un nom : troubles psychiatriques. Cependant, nous avons profité du courant de désinstitutionalisation des malades psychiques.
Par ailleurs de son côté, la psychiatrie s'en revenait de l'illusion que, comme pour les antibiotiques qui guérissaient des infections, l'haldol et le nozinan allaient guérir les fous.
Ainsi, les médicaments, les murs de l'hôpital ne faisaient pas tout. Il fallait trouver une autre approche.
Mais, si les neuroleptiques ne guérissent pas, accompagnés des thérapies relationnelles et du savoir infirmier, ces médicaments permettent aux patients de dépasser les crises et de sortir de l'hôpital pour vivre leur vie comme tout le monde.
Grâce à cette nouvelle approche de la maladie et du malade, il devient possible de dire en 1996 : «les fous ne sont plus à lier» à cette époque, on pouvait compter jusqu'à 150 attachements de patients à leur lit à Cery par an.
Maintenant, on les compte sur les doigts d'une main. Et 2003, la loi sur la santé publique était révisée et les droits des patients renforcés.
Le traitement forcé, l'hospitalisation non-volontaire perd de son impact, le patient est invité à collaborer à son traitement, on cherche même à ce qu'il donne son avis, qu'il dise ce qu'il ressent. On parle de compliance, de continuité des soins, on recherche une alliance.
Les connaissances des patients reconnues, ceux-ci peuvent se positionner différemment dans la relation thérapeutique. Reconnaître le savoir des patients c'est leur reconnaître du pouvoir, celui d'intervenir dans le projet thérapeutique, de donner leur avis et de prendre part aux décisions. Ainsi, ce n'est pas seulement le médecin, les infirmiers qui ont le pouvoir de soigner, de guérir, mais le patient peut lui aussi y contribuer.
Si le patient a du pouvoir, il a aussi des droits.
Cette avancée dans l'évolution de la relation médecin/malade s'inscrit aussi dans la loi qui reconnaît au patient, citoyen à part entière, des droits :
- on ne peut plus lui administrer des médicaments sans son consentement ;
- on ne peut plus l'attacher à son lit ;
- on doit lui donner son dossier s'il le demande ;
- il peut recevoir en tout temps des visites de ses proches ;
- les conseillers-accompagnants peuvent entrer dans la chambre de soins intensifs ;
- la contention est protocolée. Le patient est au courant du protocole ;
- la commission d'examen des plaintes est créée, le patient peut faire recours contre les mesures de contention ;
- les directives anticipées sont inscrites dans la loi ;
- des plaquettes sur les droits des patients ont été éditées.
Vous pouvez obtenir cette plaquette auprès de info@sanimédia.ch .
Donc, les droits des patients sont inscrits dans la loi.
Mais, au Graap, plus spécialement dans nos contacts avec les proches, on voit que cette avancée concernant les droits des patients a son revers. Les proches sont les premiers à en faire les frais :
Face à cette reconnaissance des droits des patients, une intervention sans leur consentement n'est possible que s'il y a péril en la demeure.
Alerté par les proches qui savent et sentent que le patient est en voie de décompenser, les médecins ne peuvent intervenir et renvoient les proches à la loi. Et c'est seulement quand le patient aura fait des dégâts que la police interviendra.
Les proches participent aux douloureuses parties de ping pong entre le médecin traitant ou le médecin de garde, le service des urgences psychiatriques, le patient, la police.
Dans ces situations, au nom de la loi, on respecte davantage la maladie et le déni que le patient.
L'évolution des pratiques
On dit que la mise à jour des lois vient confirmer l'évolution des pratiques.En matière de santé publique c'est en effet bien le cas :
- L'hôpital est définitivement considéré comme un lieu de traitement de la crise où l'on y passe le moins de temps possible. On vise le maintien du patient dans la société. Des patients se voient refuser l'entrée à l'hôpital car ils ne sont pas suffisamment malade ; on les incite à trouver dans la société les aides et ressources dont ils ont besoin.
- Les rapports entre le malade, l'équipe soignante, avec le médecin se modifient radicalement : le malade est maintenant perçu comme une personne qui a une maladie. C'est fondamentalement différent car cela signifie que cette personne, qui souffre, n'est pas sa souffrance, elle est aussi autre chose. Elle a une maladie, mais elle a aussi des ressources.
Reprenons et continuons avec le témoignage d'Angeline.
Le patient acteur de son traitement
Angeline perçoit très bien que, si les rôles de chacun restent les mêmes : le médecin reste le médecin, et le patient vient avec sa souffrance, c'est la posture des uns et des autres qui a changé.
Je me fais son porte-parole :
Lors de ma dernière hospitalisation qui date d'il y a un an, j'ai bien pu le remarquer, c'était complètement différent :
- j'assistais aux rencontres de réseau depuis le début de la séance. Le médecin me donnait à moi la parole pour commencer. C'est moi qui disais ce que je pensais, ce que je ressentais, où j'en étais, comment je vivais les choses, au passé, au présent et pour le futur.
Ensuite, la discussion tourne autour des éléments que j'ai avancés.
- Lorsque l'on parlait de mes difficultés, on me donnait des pistes ;
- pour la médication, on me proposait des modifications, on me demandait mon avis.
- On relevait surtout les progrès que j'avais fait, on me faisait remarquer que j'avais des forces, des ressources.
- On m'a demandé ce que j'attendais de cette hospitalisation, j'ai eu de la peine à m'exprimer car j'étais trop mal, alors, on m'a aidé et j'ai pu enfin dire que je n'avais qu'une envie, diminuer les angoisses, me sentir en sécurité.
Sur certains points, je n'étais pas capable de me déterminer, je ne savais pas ce que je devais faire. J'avais besoin d'un cadre, bien que résistante à ce cadre, j'ai fini par l'accepter. Mon médecin a pris le temps de m'en convaincre. Je ne l'ai pas ressenti comme une contrainte, mais vraiment pour mon bien. Mes craintes ont pu être entendues et j'ai pu à mon tour, entendre leurs arguments.
On en a défini ensemble le but, on a planifié les étapes à franchir. Bien sûr, je ne savais pas à l'avance quel jour j'allais sortir, mais grosso modo, j'en connaissais la durée.
C'était donc complètement différent ! Les soignants, le médecin étaient comme avant, tout aussi gentils et bienveillants avec moi. Mais avant, je me sentais vraiment une malade qui attend qu'on la soigne, et lors de cette dernière hospitalisation, je me sentais quelqu'un, moi, Angeline, une personne qui a une difficulté et qui cherche de l'aide.
Si je vivais mes hospitalisations précédentes comme une corvée à laquelle je n'échappais pas, j'ai ressenti cette dernière hospitalisation, comme une étape vitale et que j'allais en sortir plus forte, que j'allais en faire quelque chose de nécessaire et d'utile pour moi.
La durée de mon hospitalisation a été nettement plus courte, et je suis sortie en meilleur état psychique. Surtout, j'ai eu envie de poursuivre mon traitement en ambulatoire, sans attendre que cela n'aille plus.Cette nouvelle attitude lors de mon hospitalisation, je l'ai ressentie aussi en consultation ambulatoire.
Maintenant, je me sens en confiance et j'ai envie de dire des choses à mon médecin qui me posent problèmes. Je sens aussi qu'il a confiance en moi, et quand il me félicite, je sens que c'est sincère. Je sors de chez lui à chaque fois requinquée et avec une énergie renouvelée.
On voit donc combien Angeline apprécie d'être soutenue dans l'activation de ses ressources. De voir qu'elle fait des choses pour elle-même et que ce qu'elle fait, c'est juste. Elle reprend confiance en elle, elle ressort avec de l'énergie.
Elle n'est plus uniquement perçue comme la victime d'un trouble psychique grave, voire comme un objet de soins ; elle ne se vit plus que «victime», mais comme une personne qui a aussi des ressources, donc qui peut agir. Et, elle est encouragée à faire des choix, à agir. À se responsabiliser.
Rôle, mission et fonction
Les rôles n'ont pas changé, mais la mission, elle, elle a changé : le médecin reste le médecin, avec son savoir, ses compétences.
Avant, le médecin devait soigner, voir guérir le patient.
Maintenant, on attend de lui qu'il nous soutienne sur le chemin que nous empruntons dans notre volonté de guérir.
Juste une précision concernant le terme de guérison : si je prends le Robert de Poche, je lis : délivrer d'un mal ; faire cesser une maladie ; être débarrassé d'un mal.
Au Graap, notre définition de la santé s'exprime en terme de santé relationnelle : c'est être capable d'aimer et d'être aimé.
Est-ce parce que nous avons cessé de croire que le médecin pouvait nous débarrasser d'une schizophrénie, d'une dépression qu'il a perdu l'aura que lui conférait sa profession ? La réponse est certainement bien plus complexe, et dépasse les attentes déçues des patients et des proches.
Les relations qui s'installent entre un médecin et son patient ne sont plus aussi catégoriquement verticales, soignant/soigné, c'est davantage des relations de partenaires qui s'installent entre le médecin et son patient. On parle de contrat thérapeutique, où les deux parties sont engagées. Et, qui dit contrat, dit obligations, obligations que le patient doit pouvoir respecter, ... dans le cas contraire, le contrat sera revu.
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